De la Bataille à la Bouteille : Châteaux et Vins Emblématiques de la Guerre de Cent Ans
- 29/04/2024
- Auteur : Margot
Difficile d’imaginer le Bordelais comme terre anglaise, pourtant ce fut le cas pendant 300 ans ! La faute à Aliénor, duchesse d’Aquitaine, qui règne alors sur une terre qui s’étend du comté du Poitou aux Pyrénées. C’est le plus beau parti de France, alors on la marie au roi de France Louis VII, permettant d’agrandir les terres royales.
Le mariage a lieu le 1er août 1137 en la Cathédrale Saint André de Bordeaux, capitale du duché. Aliénor est reine de France à 15 ans, c’est une jeune fille rieuse, sensible aux arts notamment les chansons des troubadours, qui aime se parer joliment, libre de pensée et de langage. Son époux, est tout son opposé, on le surnomme le roi-moine. Second de la fratrie princière, il n’était pas destiné au trône mais à l’Eglise. Un malheureux et stupide accident, causant la mort de son frère ainé, le propulse à la tête du royaume sans y être préparé. La mésentente des époux est évidente, la cour est austère, Aliénor s’ennuie… Leur couple n’est pas heureux et ne donne pas d’héritier au trône, seulement des filles. C’est la rupture, le conseil du roi trouve Aliénor gênante pour les affaires et l’accuse de ne pas prendre au sérieux son devoir de reine. Le divorce est prononcé en raison de son incapacité à avoir des enfants mâles.
A peine libérée, notre belle Aliénor se remarie avec Henri Plantagenêt, duc de Normandie, comte d’Anjou et de Touraine, de dix ans son cadet ! Le 18 mai 1152, aux noces d’Aliénor et Henri, le vin coule, c’est celui du château d’Issan, situé dans le Médoc, appellation Margaux (cette propriété se distinguera en tant que 3e Grand Cru Classé au classement de 1855). Finesse et élégance sont les qualités que nous pouvons attribuer à son vin ou à Aliénor.
La mère d’Henri est fille du roi d’Angleterre et à la mort de ce dernier Henri revendique ses droits à la couronne. En 1154, les voilà couronnés roi et reine d’Angleterre permettant à l’Angleterre l’accroissement inespéré de ses territoires continentaux. L’Histoire donne tort au roi de France car Aliénor donne plusieurs héritiers à la couronne d’Angleterre : quatre garçons Guillaume (qui meurt en bas âge), Henri le Jeune qui règne avec son père jusqu’à sa mort 6 ans avant lui, le héros des croisades Richard coeur de Lion et Jean sans terre (que Disney a caricaturé en méchant personnage dans Robin des bois, imaginez-le suçant son pouce en appelant sa maman qui est la Grande Aliénor !). Ce dernier, le moins aimé par sa mère, monte sur le trône en 1199 et renforce sa position en offrant à Saint Emilion, une autonomie exceptionnelle, telle une cité état à l’Italienne. Merci Jean, le vin n’en est que meilleur !
L’Angleterre a permis au vignoble bordelais d’assurer une exportation intensive de son vin. Imaginez : Bordeaux est le seul port atlantique en commerce vers l’Angleterre et les Pays Flamands demandeurs. Une importante flotte anglaise, bretonnes et bayonnaises chargent deux fois l’an des tonneaux. En 1308, on note un record avec 102 000 tonneaux quittant le port de la lune.
Mais ce prestige économique ne pouvait durer. Les générations suivantes s’affrontent. Les rois de France Philippe Auguste, puis son fils Louis le Lion multiplient les attaques pour obtenir les possessions du roi d’Angleterre. En 1259, c’est choses faite avec Louis IX qui confisque les possessions d’Henri III (fils de Jean sans terre), qui a dû renoncer à la Normandie, le Maine, l’Anjou, la Touraine, le Poitou. Le duché d’Aquitaine diminue de moitié et se nomme la Guyenne (déformation d’Aquitaine).
Puis vient le temps des rois maudits, le royaume de France se trouve sans héritier mâle…encore ! A la mort de Philippe Le Bel, roi de France, qes quatre fils montent sur le trône et viennent à mourir successivement. Un choix s’impose : aller chercher un héritier de la branche cadette (cousin du roi) ou passer l’autre côté de la manche où Edouard (bientôt troisième du nom) est le fils d’Isabelle de France (princesse française, fille de Philippe Le Bel, seule rescapée de la malédiction qui s’abat sur sa famille) et Edouard II, roi d’Angleterre. Comme Henri II Plantagenêt l’avait fait deux siècles auparavant, Edouard revendique ses droits cette fois-ci à la couronne de France. Hélas, ça ne se passe pas aussi bien que pour son ancêtre. Nous sommes en 1337 : la guerre de 100 ans commence !
La Guyenne, terre anglaise de cœur, prend parti pour Edouard III et doit faire face à l’armée française. 1355, les renforts anglais arrivent avec le Prince Noir, Edouard de Woodstock, fils du roi d’Angleterre. Pour défendre les terres de son père, il séjourne au Château de Camarsac, une forteresse médiévale mais aussi un domaine viticole au cœur de l’Entre-deux-Mers. Aujourd’hui, l’heureuse famille propriétaire est celle des Lurton, un nom qui ne s’oublie pas dans le Bordelais : cinq générations, une quinzaine de vignerons, une trentaine de châteaux, 1 400 hectares… C’est une vraie saga bordelaise dont on vous parlera dans un autre article. Ils n’ont pas manqué de nommer une de leur cuvée : Le Prince Noir, à la mémoire de ce chevalier qui se construit une renommée lors de la bataille de Poitiers en 1356. Il inflige une défaite à Jean II, le roi de France, et le capture. Il sera enfermé à Bordeaux puis en Angleterre. Une victoire éclatante pour un Prince qui ne sera jamais roi mais qui règne comme tel dix ans sur le duché de Guyenne.
La riposte française ne se fait pas attendre et Dunois pousse Bordeaux à capituler.
La politique punitive française est sans pitié. Le peuple bordelais appelle à l’aide l’Angleterre.
Une expédition, menée par le connétable John Talbot, débarque à Soulac le 23 octobre 1452. Talbot, ce nom vous est-il familier ? Le Château Talbot sera promu 4ème Grand Cru Classé 1855 du Médoc, en appellation Saint-Julien. Après avoir été la propriété des Marquis d’Aux pendant presque deux siècles, le domaine est acquis en 1918 par la famille Cordier. Le domaine parle de son grand vin comme un champion de longévité. C’est aussi ce que nous aurions souhaité pour cet homme de guerre anglais. Le héros de ce cru meurt à la bataille de Castillon en 1453. Cela commençait pourtant sous les meilleurs hospices : Talbot surprend un corps de francs-archers français qui perdent environ deux cents hommes. Mais de son côté, l’artillerie française éclaircit les rangs anglo-gascons. C’est alors qu’un boulet atteint la jument de Talbot : à demi écrasé par sa monture, le capitaine est massacré. Les Anglais prennent la fuite, c’est terminé.
Au château de Pressac, dominant la vallée, non loin de Saint-Emilion, a lieu la reddition de la Bataille de Castillon qui met un terme à la Guerre de 100 ans. Le vin, d’une robe pourpre, non pas en mémoire du sang versé mais bien pour annoncer les délicieux arômes de fruits noirs et rouges, a une garde intemporelle, tout comme son histoire.
C’est ainsi que La Guyenne redevient définitivement française. Heureusement pour le commerce, le roi de France accorde vite son pardon et rend à Bordeaux ses privilèges d’exporter leurs vins à la vente.